L’Epreuve – Marivaux

Article dans la même veine que le précédent sur Marivaux : aucune donnée sur ce titre que je vous présente aujourd’hui – comme d’habitude je le fais – parce que la pièce dont je vais vous parler sort tout droit d’un recueil de trois pièces de Marivaux que je compte clairement lire intégralement. Je ferai un article détaillant le recueil, mais uniquement lorsque je l’aurai lu en entier. Après La Dispute, une seconde pièce : L’Epreuve, lue dans le cadre de mes cours magistraux et travaux dirigés sur le théâtre.

Ici, les deux protagonistes, Angélique et Lucidor, s’aiment mais, le garçon veut être sûr qu’Angélique l’aime pour lui-même et non pour son argent – il s’avère qu’il est immensément riche. Il va donc la « tester », la mettre à l’épreuve. Il lui annoncera qu’il lui a trouvé un mari, un ami à lui (qui s’avère être son valet), tout aussi riche et similaire à Lucidor en tout point. Ajoutez à cela la servante d’Angélique, Lisette, qui cherche aussi un mari et un jeune paysan riche du pays, Maître Blaise, qui aime Angélique.

Après avoir lu la première pièce du recueil pour mes cours, que j’avais beaucoup apprécié, j’ai lu la préface propre à L’Epreuve et j’en ai découvert qu’elle était bien plus connue que la première. Mais, après ma lecture, j’ai été décontenancé par ce fait. Elle m’a infiniment moins touché que la première, non dans un sens d’attendrissement, mais dans un sens d’atteinte. Cette seconde m’a paru plus…simple, plus ordinaire.

Lucidor, richissime, va mettre à l’épreuve sa bien-aimée afin d’observer ses pulsions face à l’attrait d’argent massif. Cette idée scénaristique semble bien assez reprise avec les âges, mais cela apporte, d’un autre côté, la perspective d’un mouvement existant même de nos jours : l’argent embellit une personne et floute le reste. Le scénario n’est nécessairement pas « neuf », mais s’imaginer la pièce à notre propre époque, transposée selon nos codes et nos mœurs, serait un jeu amusant à mettre en place. Mais malheureusement, la fin « heureuse » était nécessaire pour une pièce du XVIIIe siècle, même si je pense qu’avoir un dénouement totalement influencé par l’argent aurait été beaucoup plus amusant, et j’irais même jusqu’à dire que cela aurait été bien plus significatif.

Aussi, cette pièce est un exemple typique de Marivaudage. L’humour est assez bas, tout comme les personnages ; et ceux-ci sont bien caricaturaux. C’est une pièce assez classique, qui n’est pas fine, et qui use le grotesque pour faire rire : comme le maître Blaise, usé par Lucidor pour faire fauter Angélique, qui use un langage à moitié construit de français moyen, et d’ancien français dans le but de le rendre moins éduqué, plus folklorique.

Enfin bref, cette pièce ne m’aura pas été un aussi large coup de cœur comme l’a été la première, même si je l’ai tout de même bien appréciée ! J’aurais aimé qu’elle se fasse un peu plus fine, avec du tact. Moins de « Marivaudage », mais c’est bien une pièce du XVIIIe siècle, alors, que pourrait-on y faire ?

Passage :

« MAÎTRE BLAISE : Je requiers la parmission d’interrompre, pour avoir la déclaration de votre darnière volonté, Mademoiselle, retenez-vous voute amoureux nouviau venu ?
ANGELIQUE : Non, laissez-moi.
MAÎTRE BLAISE : Me retenez-vous, moi ?
ANGELIQUE : Non.
MAÎTRE BLAISE : Une fois, deux fois, me voulez-vous ?
ANGELIQUE : L’insupportable homme !
LISETTE : Êtes-vous sourd, Maître Blaise, elle vous dit que non.
MAÎTRE BLAISE, à Lisette, les premiers mots à part, et en souriant : Oui, ma mie. Ah çà, Monsieur, je vous prends à témoin comme quoi je l’aime, comme quoi alle me repousse, que si elle ne me prend pas, c’est sa faute, et que ce n’est pas sur moi qu’il en faut jeter l’endosse. (A Lisette, à part.) Bonjour, poulet. (Et puis à tous.) Au demeurant, ça ne me surprend point ; Mademoiselle Angélique en refuse deux, alle en refuserait trois, alle en refuserait un boissiau ; il n’y en a qu’un qu’alle envie, tout le reste est du fretin pour elle, hormis Monsieur Lucidor, que j’ons deviné drès le commencement.
ANGELIQUE, outrée : Monsieur Lucidor !
MAÎTRE BLAISE : Li-même, n’ons-je pas vu que vous pleuriez quand il fut malade, tant vous aviez peur qu’il ne devînt mort ?
LUCIDOR : Je ne croirai jamais ce que vous dites là ; Angélique pleurait par amitié pour moi ?
ANGELIQUE : Comment, vous ne croirez pas, vous ne seriez pas un homme de bien de le croire ? M’accusez d’aimer à cause que je pleure ; à cause que je donne des marques de bon cœur, eh mais, je pleure tous les malades que je vois, je pleure pour tout ce qui est en danger de mourir ; si mon oiseau mourait devant moi, je pleurerais ; dira-t-on que j’ai de l’amour pour lui ?
LISETTE : Passons, passons là-dessus ; car, à vous parler franchement, je l’ai cru de même.
ANGELIQUE : Quoi ! vous aussi, Lisette, vous m’accablez, vous me déchirez, eh, que vous ai-je fait ? Quoi, un homme qui ne songe point à moi, qui veut me marier à tout le monde, et je l’aimerais ? Moi, qui ne pourrais pas le souffrir s’il m’aimait, moi qui ai de l’inclination pour un autre, j’ai donc le cœur bien bas, bien misérable ; ah ! que l’affront qu’on me fait m’est sensible ! »

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