Le Banquet des Empouses – Olga Tokarczuk

Titre : Le Banquet des Empouses

Auteur : Olga Tokarczuk

Note : 19/20

Editeur : Noir sur Blanc

Genre : roman

Sous-genre(s) : contemporain // féministe // ésotérisme // surnaturel // thriller

Mise en situation : Wojnicz, jeune homme ne s’étant pas encore trouvé, part dans un sanatorium de Basse-Silésie pour prendre soin de lui. Avec les pressions prises par sa famille, il n’a plus l’occasion de respirer, alors qu’il a des doutes sur le fait d’être potentiellement atteint de la tuberculose. Désormais résident de Görbersdorf, il se voit rejoindre un cercle exclusivement composé d’hommes, à la Pension pour Messieurs. C’est au milieu des montagnes et des forêts, des crimes effroyables et mystérieux que Wojnicz va se découvrir, inconnu individu en proie au mal de l’être, au centre de discussions sur « le rôle [absurde] des femmes dans la société ».

Critique :

Le nouvel ouvrage de Tokarczuk n’était sans doute pas attendu de tous, en France toujours isolée… Mais parmi les rares, je me situais, fidèle à ma place. L’auteur a une voix tant nouvelle et sublime dans le paysage littéraire contemporain, que je ne peux pas me réserver de lire l’intégralité de ses ouvrages. Ici : le tout dernier sorti sur notre territoire – ainsi que le sien, si je ne m’abuse. J’ai été averti de sa sortie prochaine par le titre, très mystérieux ma foi, dont il est l’objet. Le Banquet des Empouses. Que sont-ce donc, ces Empouses ? En ce livre, vous ne trouverez aucunement la réponse, car ce n’est qu’un détail mythologique sans importance à vrai dire. Les Empouses représentent tout ce qui ne se voit pas. Elles sont partout, là, observantes et silencieuses, mais ne sont tout autant rien de concret qu’un esprit rôdant. Des spectres, envoyées d’Hécate, figures de la nuit, du chaos et de tout ce qui s’éloigne de la réalité et de l’acceptable selon les « bien-pensants ». Perceptions de la lune, elles voient tout ce qui se déroule au sein de l’histoire, et ont le fin mot sur l’intégralité de ce qui se passe – même nous ne les voyons que si rarement, si l’esprit s’ouvre, si la mort appelle. C’est autour d’elles que le livre se déroule, c’est autour d’elles que la vie s’écoule.

Je dois notifier l’apport à la littérature classique qu’Olga Tokarczuk effectue par l’écriture de ce texte. Le personnage principal migre dans un sanatorium au beau milieu des montagnes, dans une société de soignés et de soignants, pour espérer guérir de la tuberculose. Il est évident que l’auteur a fait un hommage à La Montagne magique de Thomas Mann, ouvrage capital de la littérature allemande, grand classique parmi les classiques. Personnellement, c’est un ouvrage que j’adore, et j’aime tout le postulat qui en descend, toutes les inspirations (si nombreuses, entre nous soit dit)… Comme dans l’ouvrage de Mann, nous retrouvons toute une tripotée de personnages se faisant soigner, et qui semblent tous un petit peu fous, entre eux, s’entretenant la folie. Un microcosme de maladie et d’êtres étranges qui ne font que terrifier Wojnicz (sombrant lui aussi petit à petit dans la folie).

Une autre similarité avec l’ouvrage allemand, c’est la présence majoritaire d’hommes au sein de ce vivarium. Celle-ci ouvre le dialogue sur la thèse antinomique du texte dont il est question ici : les femmes, servent-elles réellement à quelque chose sur cette planète, lorsque celle-ci est peuplée d’hommes sauveurs, intelligents et magnifiques ? Je précise bien qu’il s’agit d’un texte féministe, mais féministe par son contraire : c’est en mettant en lumière une pensée sombre que l’auteur vient exprimer l’inverse. Par ailleurs, il n’y aura cesse de rappeler que les personnes pensant de telles choses sont effectivement punies au sein du texte, de façons bien absurdes que vous pourrez découvrir à votre aise. Ce roman est une ouverture au monde, pour tout dire : une valorisation des femmes (physiques, entités ou empiriques), une prise de position sur de la mixité de genre, la transidentité, ainsi qu’un plaidoyer contre une binarité du système du genre humain. Ce roman, outre une histoire mystérieuse ouvrant le champ des possibilités, est un ouvrage politique pour un renouvellement des façons de penser, contre le conservatisme qui tue.

Aussi, enfin, il s’agit là d’un texte que l’on pourrait qualifier de bien des façons. Il mérite amplement son sous-titre de « roman d’épouvante naturo-pathique ». Il m’a effrayé de bien des manières, à de nombreuses reprises, pour être honnête, mais c’est également un texte qui soigne, se déroulant dans la nature. C’est un texte qui soigne non seulement les corps énigmatiques peuplant cette histoire, mais aussi les cœurs des lecteurs. Aussi, selon une constitution plus humaine, il serait mesurable de dire du livre qu’il s’agit d’un thriller ésotérique, frôlant le surnaturel à certains moments très clairs. Je pense bien évidemment qu’on ne pourrait le réduire à de tels termes classificateurs, mais c’est une vérité qu’on ne peut négliger.

Olga Tokarczuk nous présente ici un ouvrage d’une maîtrise impressionnante, presque immortelle. Un ouvrage inspiré de La Montagne magique de Thomas Mann, on en retrouve tous les fondements avec une thèse, un postulat des plus modernes : ouvrage féministe violent, revanche d’un genre, ouverture sur la mixité des genres et attirances sexuelles, c’est un chef d’œuvre qui soigne, de sûr, le cœur.

2 commentaires sur « Le Banquet des Empouses – Olga Tokarczuk »

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