Paul Et Virginie – Jean Cocteau & Raymond Radiguet

Titre : Paul Et Virginie

Auteurs : Jean Cocteau & Raymond Radiguet

Note : 17/20

Editeur : JC Lattès

Genre : théâtre

Sous-genre(s) : contemporain // réécriture // poétique // opéra // comique // fantastique

Mise en situation : Paul et Virginie sont deux enfants très amis qui vivent et s’amusent tous les jours de pareil sur l’île de Madagascar. Virginie est une petite fille noble dont la famille s’est exilée d’elle-même ; Paul est un petit bâtard qui vit seul avec sa mère, son père étant inconnu. Et ils sont amoureux. On apprendra que Virginie est sommée d’aller s’éduquer à Paris auprès de sa grand-tante et loger en couvent pendant trois ans.

Critique :

Cela me fait envie depuis bien longtemps que de lire le roman éponyme de Bernardin de Saint-Pierre, contant l’histoire première, et depuis quelques mois que le texte est dans ma pile à lire jamais je n’ai osé le lire. Maintenant que j’ai pu découvrir l’histoire d’un biais quelque peu détourné, par deux auteurs que j’affectionne beaucoup, je m’en sens plus légitime. La reprise de mythes et contes n’est pas du tout étonnante chez Jean Cocteau – entre ses Orphée, sa Belle Et La Bête, revisites d’Œdipe, etc. –, et ici encore il embrasse son phénomène de reprise tout en se saisissant de la philosophie de Raymond Radiguet, son amour en 1920 : la littérature moderne ne peut se passer de la reprise des classiques qui doivent continuer de vivre. Nous avons alors ici un phénomène simple : une réécriture de Paul Et Virginie, roman publié en 1788. Jean Cocteau et Raymond Radiguet écrivant ensemble, sur le bassin d’Arcachon, une telle œuvre : cela fait rêver ! La part d’implication de chaque auteur est très floue à cause de discours contraires donnés par Cocteau dans différentes lettres à différentes personnes de son entourage, mais cela emplit la création de ce texte de plein de mystère, et je trouve que cela la sert amplement.

On suit donc l’histoire de Paul et Virginie, deux jeunes enfants sur l’île de Madagascar. Ils sont amis et compagnons de jeu, toujours fourrés ensemble. Et ils sont amoureux, comme c’est touchant ! Les mères de chacun – Madame de La Tour et Marguerite – sont tant amies qu’elles se considèrent presque comme en couple ensemble, et chacune est très proche de chaque enfant si bien que ceux-ci se considèrent presque comme frère et sœur (cela est répété à plusieurs reprises dans le texte, alors cela donne un aperçu assez particulier). Virginie doit être arrachée à Paul pour subir une éducation religieuse et noble par sa grand-tante, elle sera promise à un grand Prince, mais n’aura qu’en tête de retrouver son véritable amour toujours sur l’île. Leur amour est impossible, et il va transcender la frontière entre la vie et la mort. N’ayant pas lu l’œuvre originale, je ne savais pas trop dans quoi mettre les pieds, mais, d’après les notes de mon édition (à savoir les Œuvres Théâtrales Complètes de l’auteur au sein de la Pléiade), la pièce de Cocteau est très fidèle au roman du XVIIIe siècle. Malgré sa fidélité, il y a tout de même quelques petites libertés : Cocteau rajoute un récit démonstratif du moment où Virginie est à Paris.

J’ai adoré les effluves Rousseauistes se dégageant de la pièce et qui étaient présentes dans le roman d’origine aussi. C’est tout un mouvement de pensée que j’ai trouvé du plus adorable : ici, au milieu des « sauvages », « n***** » et autres esclaves, la vie est un Paradis sur Terre ; c’est en absence de civilisation sociale et sociétale que la belle vie s’opère, avec un manque de présence politique ou encore groupale. C’est dans la solitude du monde développé que l’on est le plus heureux, et ce sont les civilisés qui sont les véritables sauvages. C’est purement Rousseauiste et qu’est-ce que c’est bon à lire. J’avais découvert toute cette théorie dans Les Rêveries Du Promeneur Solitaire, et retrouver tout cela ici m’a fait du bien. Il y a aussi à toute cette histoire un véritable héritage du roman de la découverte de l’Orient du XVIIIe siècle : énormément d’éléments ont été pris des Lettres D’Une Péruvienne de Madame de Graffigny, comme une inspiration, par exemple, avec le kidnapping d’une jeune femme vivant chez les présumés sauvages par les Occidentaux, mais qui s’avèrera découvrir chez les Occidentaux un pays plus sauvage que dans son Orient d’origine. Toute cette théorie m’a fendu le cœur pour Virginie, et j’ai été heureux de la lire ici.

Aussi, la fin de la pièce est véritablement Cocteauiste. Il y a tout un rapport à la mort qui transcende le réel, c’était très poétique : comme quoi la vie et la mort se complètent, qu’elles forment toutes les deux un revers d’une même médaille. Tout cet apport sur la mort m’a beaucoup plu et fut un apport oxymoriquement très positif pour la pièce, très comique et parfaitement dans l’esprit de l’esthétisme de Jean Cocteau.

Jean Cocteau et Raymond Radiguet se sont associés ici pour donner lieu à une superbe réécriture d’un mythe du XVIIIe siècle, une histoire qui transcende le temps, l’interdiction entre une noble et un bâtard, les acquis du monde occidental moderne… Avec tout le bagage Rousseauiste que comporte l’histoire, nous avons une pièce enchanteresse sur l’expérience de l’amour dans la vie et la mort.

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