Les Armoires Vides – Annie Ernaux

Titre : Les Armoires Vides

Auteure : Annie Ernaux

Note : 12/20

Editeur : Folio

Genre : roman

Sous-genre(s) : autobiographique // sociologique // roman initiatique

Mise en situation : Denise Lesur est une jeune fille issue d’une famille précaire. Un père et une mère qui tiennent un bar-épicerie, et eux qui veulent que leur fille aille à l’école pour apprendre ce qu’ils n’ont pu apprendre. Denise va alors entrer dans un territoire qui lui est totalement inconnu : celui de l’école, de la connaissance, de la bourgeoisie dont elle a toujours été si hostile.

Critique :

Je fais un petit encart préliminaire à cet article pour préciser que ce n’est que le tout premier livre d’Annie Ernaux que je lis de ma vie. Il y a quelque chose à propos de cette femme qui m’a toujours effrayé, peut-être sa littérature, ses sujets… Non seulement je n’avais pas désiré la lire jusqu’ici, mais j’avais en moi l’envie profonde d’en rester le plus loin possible, le plus longtemps possible. Des échos que j’en ai entendu, j’ai tout fait pour qu’ils se taisent : « elle est immanquable », « sa littérature féministe sauve des vies, sauve la femme », ou que sais-je encore… J’ai détesté Annie Ernaux sans savoir pourquoi, je suis resté hostile très longtemps à sa littérature sans le désirer purement. Lorsqu’elle a reçu le prix Nobel il y a de cela un an, je me suis retrouvé avec l’embarras de me savoir obligé de devoir lire ses textes (puisque j’ai pour objectif de lire tous les prix Nobel) que j’ai continué de fuir. Mais c’est lorsque je me suis inscrit en septembre 2023 pour une nouvelle année à l’université, j’ai appris qu’un de mes cours consisterait en une immersion totale et intensive dans l’Œuvre de l’auteure par le biais simple et pourtant complexe de la lecture de non pas moins que l’intégralité de ses textes. C’est alors acculé que j’ai commencé ce voyage qui représente pour moi une épreuve.

Annie Ernaux, dans ce premier roman, fait part de sa jeunesse par un biais singulier de la littérature : un emboîtement narratif qui permet une histoire secondaire de prime abord, mais qui constitue tout l’intérêt du texte. Denise Lesur est sur le point d’avorter, en 1964, et se remémore son enfance, son adolescence et toute cette quête de classe. Alors traitant du sujet dangereux en tout point qu’est l’avortement à cette époque – qui, on le rappelle, n’était pas légalisé, et qui n’était donc pas exempt de risques –, Annie Ernaux offre une première lecture à ce texte, féminine et effrayée par la mort qui, potentiellement, guette à la porte. Il y a aussi toute une lecture à ce texte sur la lutte qu’effectue une transfuge de classe dans cette jeunesse de vieille France, c’est là l’intérêt du texte. Nous dépassons alors toute la compréhension première et simple qu’est seulement l’histoire d’une jeune fille en territoire hostile pour nous offrir une lecture totalement sociologique du livre, qui transcende les âges : comment par un procédé simple (voir sa vie défiler devant ses yeux lors d’un moment de crise, ici l’avortement) l’auteure rend compte d’une déchirure sociale sur tous les aspects de la femme à l’époque sous les jougs. La femme décrite est sous le joug de sa classe, trop pauvre pour s’offrir ce que les bourgeoises ont, trop triviale pour se faire considérer au même niveau que les autres, trop sale pour se faire respecter, trop basse pour aller à l’école ; mais la femme est alors sous le joug des hommes, trop frêle pour tenir une boutique, trop femme pour aller à l’école, trop morale pour se permettre d’abandonner volontairement un enfant. Ce livre est simple : Denise Lesur n’a aucun droit dans sa « race », alors elle explose à chaque page. C’est une lecture choquante, plus que froide au possible dans la narration, brulante de rage, bouillonnante d’une fièvre totalement inarrêtable. C’est un roman écrit pour témoigner toute une vie qu’Ernaux a vécu, tout un enfer que de nombreuses personnes ont vécu à cette époque – quoiqu’encore maintenant –, c’est fait pour choquer, je crois. La mémoire est usée non réellement dans un sens d’observation, mais dans une idée de résurrection du passé : il est aisé de sentir l’auteure comme s’étant réapproprié le corps de son personnage pour faire rendre compte de la cruauté d’autrui envers elle, autant qu’elle envers autrui. La mémoire se dépasse d’elle-même.

Ernaux signe avec ce premier roman un texte hautement brutal, voire violent. C’est personnellement ce qui m’a déplu pendant ma lecture, et que j’aurais détesté s’il n’y avait pas tout ce service en fond. C’est l’histoire de la femme transfuge de classe qui est narrée ici, d’une quête violente, presque sanguine, pour l’insertion d’une personne, d’une femme dans un peuple différent du sien.

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